Textes de Grisélidis Réal mis en scène par Jean-Claude Fall
Avec Anna Andréotti et Roxane Borgna
Une proposition théâtrale sur la place de la liberté individuelle et collective dans le monde contemporain à partir de textes de Grisélidis Réal « écrivain, peintre, poète et prostituée ». (+ de 18 ans)
Réservations recommandées
Notre théâtre ne compte que 84 places, il est donc prudent de réserver. Les billets sont achetés sur place au tarif de 2€, 5€ ou 10 € au choix du spectateur, 1€ pour les moins de 12 ans. Le placement est libre. Les places réservées doivent être retirées 10 mn avant le spectacle. Ensuite, elles peuvent être remises à la disposition du public.
Du théâtre engagé
Grisélidis Réal, l’auteure, se présente elle-même comme écrivain, peintre, poète et prostituée. Elle est devenue, dans le feu des années 70 en France et ailleurs, l’égérie du Mouvement des Prostituées initié à l’église Saint-Nizier de Lyon. Elle a écrit de nombreux livres (Le noir est une couleur, Suis-je encore vivante, La passe imaginaire, Carnet de bal d’une courtisane…) et se trouve au centre de nombreux entretiens passionnants. Grisélidis combattait l’hypocrisie d’une société qui dénonce la prostitution tout en la consommant. Grisélidis était avant tout une artiste. Pour elle, la prostitution-même devient une œuvre d’art, disons plutôt qu’elle a fait de sa vie toute entière une œuvre d’art.
L’esprit du spectacle
Parfois, on peut même dire souvent, les travaux réalisés de façon précaire, sans moyens et sans grands préparatifs, mais juste fondés sur un désir fort, sur la spontanéité du geste artistique, ces travaux-là, ces gestes-là, se trouvent être les plus radicaux et les plus puissants. Ce spectacle en est le témoignage. Sept petites scènes accueillent dans l’intimité la plus crue une cinquantaine de spectateurs, invités à accompagner Grisélidis de la chambre rouge, à la prison, au meeting de la Mutualité en 1975, dans son cheminement vers la liberté. Cette traversée nous met face à l’hypocrisie de notre monde, elle nous délivre quelques espaces d’ouverture de pensée et de réalité pour mieux vivre tous ensemble dans un monde plus tolérant et aimant. Faire résonner la prose et la fougue verbale de Grisélidis Réal c’est un plaisir physique. Rien n’est érotique, tous les mots, tous les gestes sont permis au service de la vérité et de l’amour de l’autre.
Le texte
… Des confessions…
L’humanité est bien malade la pauvre
C’est ça qu’est touchant
Moi ça me bouleverse
C’est vrai moi quand je vois ces pauvres mecs qui tournent des nuits entières
Avec quelques billets dans la poche
Et une pauvre queue qu’est tellement timide tellement triste
moi je les ferai gratuit franchement
Par amour
Je les aime moi les gens qu’est-ce que tu veux
Mais voilà̀ c’est pas si simple d’abord faut vivre
… Des discours militants…
Se prostituer est un acte révolutionnaire Rien ne me vole
Rien ne me viole
Je prends et je ne me rends pas
Seule maîtresse à bord de mon corps
Et la nuit toute entière est ma cuirasse cloutée d’or Suis-je présente
Suis-je absente
La liberté m’éclate dans les doigts comme une lourde grenade pleine de fric.
… Des poèmes (mis en musique pour le spectacle)…
Nous sommes vos citadelles
Et vos océans
Par l’ébranlement de nos langues
De nos lèvres scellées sur vos sexes
S’éveille le jet brûlant
De vos raz-de-marée
Nous vos putains
Que vous avez enfermées
Humiliées stigmatisées
Nous sommes éblouissantes
Nos griffes acérées se plantent dans vos sexes Nous avons toute-puissance
De vie et de mort
Sur la meute affamée de vos sens
Sur le halètement rythmique de vos souffles Sur les cyclones tournoyants de vos FOUTRES
Suis-je encore vivante ? vu par La Terrasse
Anna Andréotti et Roxane Borgna s’engagent corps et âme dans une interprétation bouleversante des dits et écrits de Grisélidis Réal. Un brillant plaidoyer pour la liberté de jouir sans entraves.
Allongée, souvent ; couchée, jamais ! Telle fut Grisélidis Réal. L’ouvrier loue l’usage de son biceps au patron ; la putain loue celui de son vagin au client. Ainsi se définit le prolétaire, qui ne possède rien d’autre que sa force de travail, qu’il vend pour nourrir ses enfants. Si le patron a l’illusion que celui qu’il emploie jouit de gagner son pain en s’épuisant, c’est que, chez lui comme chez beaucoup, la naïveté confine à la bêtise. Pas plus de plaisir pour la catin que pour le manœuvre : le début du spectacle mis en scène par Jean-Claude Fall le suggère magistralement. Si on baisse sa culotte vingt fois par jour, le geste devient mécanique : il n’a plus de valeur puisqu’il a un prix. La force du spectacle composé à partir des paroles de la reine des putes est politique et morale. Il n’est pas tant question d’érotisme que de combat pour la dignité dans les mots rapportés par Anna Andréotti et Roxane Borgna. S’il est nécessaire de parler de queues timides ou rabougries à force d’abandon, c’est surtout pour rappeler qu’elles sont les victimes de la pudibonderie chrétienne et de la frigidité bourgeoise. Si les culs étaient moins bénis, ils seraient plus heureux ; si les régulières suçaient leur mari, les lèvres des putains auraient moins de travail !
Intelligence du cœur
Grisélidis Réal lutta toujours contre la bêtise folle et cruelle des enfermements : la prison, les préjugés, la relégation symbolique. Devenue putain pour survivre, arrachée au trottoir pendant sept ans, elle y retourna en 1977 pour devenir l’égérie du mouvement qui réclamait que l’on considère la prostitution comme une activité sociale, un art, un humanisme et une science, et, fondamentalement, un acte révolutionnaire. Les deux comédiennes évitent habilement de sombrer dans une pornographie de mauvais aloi et une joliesse de pacotille. Elles disent les mots crus et sordides du métier, les rencontres avec les cogneurs, la crainte de finir étranglée par le client, le ridicule de ceux qui voudraient acheter des heures supplémentaires – comme si, sur le trottoir ou à l’usine, les travailleurs rêvaient de travailler plus pour gagner plus ! Elles racontent surtout la philanthropie nécessaire à l’exercice de ce métier quand il est choisi. L’amour dont il est question ici n’est pas celui du commerce des corps, mais cette pitié profonde et généreuse pour l’espèce et ses misérables représentants. Pudiques et délicates, même si leurs mots ne le sont pas, grossières mais jamais vulgaires, impériales et dignes, Anna Andréotti et Roxane Borgna interprètent ce spectacle avec ce qui caractérisait le mieux Grisélidis Réal, à qui elles rendent ainsi un vibrant hommage : l’intelligence du cœur !
Catherine Robert
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